robotique humanoide

Robotique Humanoïde : Sommes-nous en train de perdre notre humanité ?

      Depuis le début de la robotique, tout du moins à partir du moment où le terme de « Robot » a été employé dans ce contexte par les frères Čapek en 1921, les robots ont été représentés dans une forme humaine : l’humanoïde. L’image d’un robot a navigué entre fantasmes et besoins industriels sous couvert de productivité.

100 ans après la création du mot « robot », nous vous invitons, à travers cette interview de Sacha Stojanovic, Président fondateur de la société Meanwhile et diplômé de Sciences Po Paris en Digital Humanities, à vous poser les bonnes questions.  Quel monde souhaitons-nous laisser aux générations futures ?

I. Qu'est-ce qu'un robot aujourd'hui ?

      Avant de définir ce qu’est un robot aujourd’hui, il est important de revenir sur la sémantique du mot « Robot ». Le terme « Robot », plus précisément « Robota », a été utilisé pour la première fois en 1921 pour désigner ce qui s’apparente aujourd’hui à un robot, dans une pièce de théâtre au nom de R.U.R., créée par les frères Čapek. « Robota » vient du tchèque et signifie “corvée”. Dans cette pièce de théâtre, les frères Čapek décrivent un monde dans lequel cohabitent, tout du moins au début de l’histoire, des êtres humains et des robots humanoïdes. La première fois que le terme de “Robot” est utilisé, c’est donc pour définir, si nous nous intéressons à l’objet lui-même, essentiellement un robot humanoïde, en occultant le service associé.

      C’est seulement une cinquantaine d’années plus tard qu’apparaissent des robots industriels appelés bras robotisés. Le nom de « bras robotisé » se justifie du fait de sa forme et de sa dynamique. C’est en 1971 que l’inventeur A. Burch dépose le premier brevet évoquant le robot industriel.

      Sacha Stojanovic nous fait remarquer que le mot « robot » est devenu un mot valise. En effet, le terme robotique aujourd’hui désigne bien des choses : robot de cuisine, robot aspirateur, bras articulé pour l’industrie, robot chien, et l’être suprême – celui qui se trouve tout en haut de la pyramide désuète de l’espèce robotique – le robot humanoïde, que l’on a même réussi à sexuer : les gynoïdes et les androïdes.

      Mais si nous définissons le mot « robot » aujourd’hui, nous dirons qu’un robot est une machine complexe, capable de réaliser un certain nombre de tâches de façon autonome ou semi-autonome. Certains robots sont plus complexes que d’autres, on dit qu’ils sont indéterministes et font appel à des briques d’intelligence artificielle.

II. Avons-nous raisons d’utiliser le terme robot pour désigner des robots mobiles ?

      Si nous nous intéressons à la sémantique du mot robot, il était utilisé pour désigner les robots humanoïdes et par la suite les bras robotisés industriels. « En effet, il y a une grosse différence entre les robots industriels et la robotique mobile, à tel point que nous pouvons nous demander si c’est le même métier » nous interpelle Sacha.

      Les bras robotisés industriels sont programmés pour réaliser un certain nombre de tâches, en prenant en compte des signaux envoyés par des capteurs plus ou moins complexes (capteurs de présences, caméras 3D etc), à la différence des robots mobiles intelligents, dotés de différentes couches logicielles, dont une inspirée d’une technique nommée le SLAM (Simultaneous Localisation and Mapping). Le robot mobile est indéterministe dans sa trajectoire et se contente de respecter des règles de sécurité. De lui-même, dans l’éventualité qu’un couloir soit obstrué, le robot va décider d’emprunter un autre couloir. Également, dans le cas où un obstacle se présente à lui, il va recalculer sa trajectoire pour l’éviter et le contourner. Grâce à l’algorithme de SLAM, il est possible de faire fonctionner ensemble plusieurs robots mobiles ; cela nécessite une couche applicative nommée « Gestionnaire de Flotte ». Celui-ci gérera le croisement des robots afin d’éviter les singularités, ou l’ordonnancement des tâches. Nous pouvons donc conclure que les robots mobiles autonomes sont très complexes et répondent aux critères de la définition contemporaine du mot « robot ».

III. Qu’est-ce que la robotique humanoïde ?

      Le terme humanoïde signifie « ressemblant à l’humain ». Généralement, les robots humanoïdes ont un torse avec une tête, deux bras et deux jambes, bien que certains modèles ne représentent qu’une partie du corps, par exemple à partir de la taille. Certains robots humanoïdes peuvent avoir un « visage », avec des « yeux » et une « bouche ». « Un androïde est un robot de forme humaine, étymologiquement ce « qui ressemble à un homme » » et « Un gynoïde est un robot à l’apparence d’une femme. »

      Le robot humanoïde, dans le sens contemporain du terme, est né d’abord dans les esprits d’écrivains comme Karel Čapek, que nous avons évoqués plus haut, en 1921, ou comme Isaac Asimov avec les trois lois de la robotique :

  • un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger ;
  • un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
  • un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.

      A ce jour, concernant l’aspect mécanique, il existe différents types de robots humanoïdes :

1- Le robot bipède capable de se mouvoir dans un espace connu plus ou moins complexe voire dans un espace inconnu alors plutôt simple.

2- Le robot social, moins humanoïde du fait de son apparence, doté d’une forme Kawaii, doué pour échanger avec une personne et essayant autant que possible de l’aider.

      Il existe 2 défis complémentaires dans la robotique humanoïde : l’intelligence artificielle (IA) d’un côté et la mécatronique de l’autre. Concernant l’IA, beaucoup se posent encore la question de savoir si elle sera locale – c’est-à-dire, embarquée dans le robot humanoïde – ou distante. Dans le premier cas, les problématiques sont l’énergie nécessaire et la gestion du système auto-apprenant. Dans le second cas, il faudra s’intéresser à la communication et particulièrement aux problèmes de sécurité.

     Concernant la mécatronique, la problématique du « Zéro Moment Point » (ZMP) est encore un défi à relever : savoir tenir debout, marcher courir… tout en restant en équilibre, est un exercice extrêmement complexe pour un robot bipède. Il a fallu quelques années pour obtenir un résultat convenable sans qu’il soit pour autant parfait. Le contrôle du ZMP demande une énergie énorme. Actuellement, cela rend incohérent le modèle économique, car le robot n’a pas la capacité de terminer ses tâches sans avoir à se recharger.

IV. Éthique et robotique humanoïde

      « En tant qu’innovateur et par innovateur j’entends tous ceux qui ont un esprit progressiste, innovant et qui souhaitent aller de l’avant, nous pouvons nous poser la question : A qui profite le crime ?  Lorsque l’on se dit que demain sera un monde meilleur si l’on dispose de robot humanoïde. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller lorsque l’on parle de robot humanoïde ? ». Nous demande Sacha Stojanovic, en prenant deux exemples :

  • Le robot Sophia, conçu par l’entreprise Hanson Robotics.

      L’Arabie saoudite est devenu le premier pays à accorder la nationalité à un humanoïde. Ce « robot social » peut reconnaître les visages, et son propre faciès en silicone peut mimer 62 expressions humaines.

« La création d’un robot comme Sophia, nous amène à nous demander quelle est notre volonté en matière d’humanité ? Effectivement Sophia permet aux personnes seules d’avoir de la compagnie. Mais est-ce vraiment la réponse au problème ? Ou est-ce une façon déguisée de générer des profits sans réellement s’intéresser à la source du problème ? Nous devrions plutôt nous demander, pourquoi il y a tant de personnes seules dans ce monde ? A tel point qu’elles aient besoin d’acheter des machines pour se créer des relations. »

  • Le robot animateur de maison de retraite.

      « Ce deuxième exemple est à mon sens le plus violent. Notre société a poussé les personnes âgées dans des maisons de retraite. Aujourd’hui, notre société se demande comment il sera possible qu’un robot humanoïde occupe les générations qui nous précèdent. Je m’imagine dans 40 ans peut-être, technophile dans l’âme, est-ce qu’un jour je ne regretterais pas mon amour quasi inconditionnel pour la robotique ? 

      Un concept pour le soin apporté aux personnes âgées existe depuis une trentaine d’années, l’humanitude. Il serait peut-être bon de se poser la question si le robot humanoïde est compatible avec ce concept. « Une personne très proche de moi, un jour m’a dit « Si un jour je me retrouve en maison de retraite avec des robots soignants je me demanderais : Qu’ai-je fait à l’humanité pour mériter ça ? ». 

      Sacha Stojanovic insiste sur le fait que les interactions sociales doivent être exclusivement entre humains. Tandis que la machine doit être au service des personnes afin de leur faciliter la vie et non pour créer de l’humanité. Nous pouvons illustrer ses pensées avec la citation de Rabelais tirée de Pantagruel « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

      La robotique doit replacer l’homme au cœur de ses priorités et en accord avec les propos de Charlie Chaplin “ Les machines devraient faire le bien de l’humanité, au lieu de provoquer tragédie et chômage.” déclare-t-il à un journaliste, en 1931.

      C’est pour promouvoir cette vision que Sacha a créé Meanwhile, afin que « pendant-ce temps-là » les hommes et les femmes puissent faire quelque chose de bien plus intéressant et pertinent.

Sources :